Congé et bail dérogatoire

Formalisme du congé et bail dérogatoire

L’article L. 145-41 du Code de commerce impose le respect d’un délai au bailleur souhaitant résilier un bail commercial :

« Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.

Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n’est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l’autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. »

Ce formalisme s’applique-t-il en matière de bail dérogatoire ? Pas d’après la solution retenue dans un récent arrêt de la Cour de cassation. D’après la Haute juridiction, les dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce ne sont applicables qu’aux seuls baux commerciaux statutaires :

« 5. Un congé, délivré antérieurement au terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale, et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d’occupation à l’échéance de ce bail.

6. La cour d’appel, qui a relevé, par motifs adoptés, que le contrat de bail dérogatoire prévoyait qu’il était « consenti et accepté pour une durée d’une année qui a commencé à courir rétroactivement du 1er juillet 2015 pour se terminer le 30 juin 2016 et qu’il sera renouvelé tacitement à l’issue de la première année et ainsi chaque année, sans dépasser une durée maximum de trois ans » et qu’aucun délai de prévenance, hormis l’antériorité du congé au regard de la date d’expiration du bail, n’était imposé au bailleur, et qui a retenu, par motifs propres, que les bailleurs avaient fait connaître, par acte d’huissier du 28 juin 2017 antérieur au terme normal du bail, leur volonté de ne pas poursuivre celui-ci, en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir d’un défaut de respect des dispositions de l’article L. 145-41 du code de commerce, applicables aux seuls baux commerciaux statutaires. »

Le bailleur peut ainsi demander à son locataire de se retirer au terme du bail dérogatoire (en ce sens, courant, donner congé) sans respecter le formalisme seul applicable aux baux statutaires.

Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Haute juridiction qui avait estimé en cassant un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux, de manière générale, que l’application du statut des baux commerciaux était écarté pour une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d’effet du premier bail dérogatoire (Cass. Civ. 3e, 22 oct. 2020, n° 19-20.443) :

« Vu l’article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 :

5. La loi du 18 juin 2014 a ajouté à l’article L. 145-5 du code de commerce une disposition selon laquelle les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs.

6. Selon ce texte, les parties ne peuvent pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs et qui court dès la prise d’effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l’issue de chaque bail dérogatoire, à l’application du statut des baux commerciaux.

7. En application de l’article 21 II de la loi du 18 juin 2014, les baux dérogatoires conclus à compter du 1er septembre 2014 sont soumis au nouvel article L. 145-5 du code de commerce.

8. Pour déclarer M. U… occupant sans droit ni titre, après avoir constaté que, le 1er juin 2013, les parties avaient conclu un nouveau bail dérogatoire stipulant que M. U…, qui était dans les lieux en exécution d’un précédent bail dérogatoire, renonçait expressément à se prévaloir du statut des baux commerciaux et que la régularité de cet acte n’était pas contestée, l’arrêt retient qu’à cette date, les parties pouvaient conclure un bail dérogatoire de deux ans sans que l’antériorité du bail précédent n’ait à être prise en compte, que la loi du 18 juin 2014, n’ayant pas d’effet rétroactif, n’a pas remis en cause la situation antérieure de sorte que ne pouvait être prise en compte l’occupation réelle des lieux avant le 1er juin 2013 et le bail conclu le 1er juin 2015, d’une durée d’un an, avait pour effet de porter la durée cumulée des baux pouvant être retenue à trente-six mois, soit la durée maximale désormais autorisée.

9. En statuant ainsi, alors que, pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, le bail conclu le 1er juin 2015, postérieurement à l’entrée en vigueur du nouvel article L. 145-5 du code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014, devait répondre aux exigences de ce texte et, par suite, ne pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d’effet du premier bail dérogatoire, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

En conséquence, comme le précise au cas d’espèce la Cour de cassation, aucun délai de prévenance n’avait à être respecté par le bailleur qui avait loué son local au titre d’un bail dérogatoire. Plus largement, ce sont les dispositions de l’article L. 145-9 relatives au congé qui ne profitent pas au locataire titulaire d’un simple bail dérogatoire :

« Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l’effet d’un congé donné six mois à l’avance ou d’une demande de renouvellement.

A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil.

Le bail dont la durée est subordonnée à un événement dont la réalisation autorise le bailleur à demander la résiliation ne cesse, au-delà de la durée de neuf ans, que par l’effet d’une notification faite six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil. Cette notification doit mentionner la réalisation de l’événement prévu au contrat.

S’agissant d’un bail comportant plusieurs périodes, si le bailleur dénonce le bail à la fin des neuf premières années ou à l’expiration de l’une des périodes suivantes, le congé doit être donné dans les délais prévus à l’alinéa premier ci-dessus.

Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné. »

Attention donc, encore et toujours, à ne pas confondre bail commercial et bail dérogatoire, et plus encore, à ne pas confondre bail dérogatoire et convention d ‘occupation précaire !