Copro du dimanche : Toulouse, droit de jouissance exclusif et copropriété

Toulouse, droit de jouissance exclusif et copropriété

De passage à Toulouse la Rouge, cette semaine, pour dispenser un cours sur les procédures et les copropriétés en pré-difficulté, dans la licence 3 « juriste de copropriété », j’ai eu le plaisir de revoir, dans la zone du Bazacle, le beau site de la manufacture des tabacs, où, avant qu’il ne soit affecté à l’université, 2 000 personnes pouvaient confectionner des cigares, et des chiques !

J’ai, à cette occasion, pu me souvenir qu’il n’y avait pas que l’Université de Toulouse qui concourrait à la pratique et à la conception du droit de la copropriété (je ne peux ici qu’avoir une pensée pour le regretté Pr. Tomasin en l’honneur de qui des « mélanges » ont été récemment publiés) : en effet une très importante jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit de jouissance exclusif en droit de la copropriété fait suite à un contentieux local.

L’affaire et la décision

L’un des immeubles du centre ville de Toulouse, dénommé résidence Lascrosses, a en effet donné lieu à un intéressant contentieux pour l’amateur de droit de la copropriété.

En l’espèce, un copropriétaire avait assigné le syndicat des copropriétaires en nullité d’une décision d’assemblée générale qui avait décidé de lui retirer son droit de jouissance exclusif sur une fraction de la cour de l’immeuble, à la majorité de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965.

La Cour d’appel de Toulouse avait prononcé la nullité de cette décision, précisant que le droit de jouissance conféré par le règlement de copropriété, était un droit réel. Il ne pouvait donc pas être remis en cause sans le consentement de son bénéficiaire.

Le syndicat s’était alors pourvu en cassation, soutenant que le syndicat des copropriétaires pouvait décider la modification des stipulations du règlement de copropriété, relatives à la jouissance des parties communes, à la majorité de l’article 26 et non à l’unanimité.

La décision rendue par la Cour de cassation approuve la décision des juges du fond, consacrant alors la technique des droits de jouissance, et leur pérennité :

#3 Mais attendu que la cour d’appel a légalement justifié sa décision, en retenant exactement, par motifs propres et adoptés, que le droit de jouissance exclusif et privatif sur une fraction de la cour, partie commune, attribué par le règlement de copropriété aux lots n°s 2 et 3, dont il constituait l’accessoire, avait un caractère réel et perpétuel, que l’usage effectif de ce droit était sans incidence sur sa pérennité et que ce droit ne pouvait être remis en cause sans le consentement de son bénéficiaire ;

Cet arrêt peut être considéré comme fondateur, et comme à l’origine de ce qui fut, bien plus tard, inscrit dans la loi du 10 juillet 1965.

La réforme intervenue depuis

Plus de 25 ans après l’arrêt ici évoqué, le législateur, à l’occasion de la loi ELAN de 2018, a introduit une définition des parties communes à jouissance privative dans la loi du 10 juillet 1965. L’article 6-3 précise désormais que :

Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs d’un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires.

Le droit de jouissance privative est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est attaché. Il ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot.

Le règlement de copropriété précise, le cas échéant, les charges que le titulaire de ce droit de jouissance privative supporte.

L’article 6-4, ajoute que :

L’existence des parties communes spéciales et de celles à jouissance privative est subordonnée à leur mention expresse dans le règlement de copropriété.

De ces textes résulte, notamment, l’obligation de la mise en conformité des règlements de copropriété ainsi qu’en dispose l’article 209 de la loi ELAN. Rappelons que cette obligation a fait couler beaucoup d’encre !

Que de chemin parcouru depuis cette décision, confirmée, de la Cour d’appel de Toulouse !

  • Source commentée :
Cass. 3e civ., 4 mars 1992, n° 90-13.145 : F. Zenati, RTD civ. 1993, 162 ; P. Capoulade et C. Giverdon, RDI 1992, 240 ; C. Atias, D. 1992, 386
  • A rapprocher de :

Cass. 3e civ., 1er mars 2006, n° 04-18.547
Cass. 3e civ. 28 janv. 2015, n° 14-10.013

  • Pour aller plus loin :

D. Tomasin et P. Capoulade (dir.), La copropriété, Dalloz action,2021, §112.121 et s.
P.-E. Lagraulet, « Loi 3DS et mise en conformité des règlements de copropriété », D. actu 28 févr. 2022
M.-H. Martial, « Les parties communes à jouissance privative et la mise en conformité des règlements de copropriété », IRC oct. 2020, 37
N. Reboul-Maupin, « Le droit spécial des biens à l’épreuve du droit réel de jouissance spéciale : droit réel de jouissance spéciale et copropriété », D. 2020, 1689
G. Rouzet, « Désignation des lots dits « n jouissance exclusive », Defrénois 2010, 207
G. Trédez, « Questionnements autour de la clarification des droits de jouissance spéciale », AJDI 2020, 260